Emmanuel Macron tente de faire bouger les lignes et de contrecarrer les plans de Donald Trump à Gaza en agitant une possible reconnaissance d’un Etat palestinien par la France qui s’inscrirait dans un mouvement réciproque de reconnaissance d’Israël par les pays arabes, un pari qui reste toutefois risqué et incertain.
Le chef de l’Etat français pourrait franchir le pas en juin à l’occasion d’une conférence des Nations unies destinée à favoriser la création d’un Etat palestinien, coprésidée par la France et l’Arabie saoudite, à New York.
Il inscrit toutefois une telle décision dans une « dynamique collective », impliquant aussi la reconnaissance de l’Etat d’Israël par les pays, notamment de la région, qui ne l’ont pas encore fait.
Une telle démarche dès juin reste de fait très délicate, sachant que les Saoudiens conditionnent toute reconnaissance d’Israël à la création d’un Etat palestinien.
« C’est une déclaration politique forte, courageuse (…) et en même temps ambigüe. Je pense que c’est voulu pour rester générique et pour ne pas être clivant », avance Hasni Abidi, enseignant au Global Studies Institute de l’Université de Genève.
En 2020, les accords d’Abraham initiés par Donald Trump lors de son premier mandat ont mené à la reconnaissance d’Israël par les Emirats arabes unis, Bahreïn, le Soudan et le Maroc.
Mais nombre de pays du Golfe, à commencer par l’Arabie, ne l’ont toujours pas fait, de même que la Syrie, le Liban ainsi que l’Algérie et la Tunisie.
Emmanuel Macron s’est d’ailleurs entretenu avec le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS) et le président des Émirats arabes unis Mohamed ben Zayed Al-Nahyane mercredi ainsi qu’avec l’émir du Qatar Tamim ben Hamad Al-Thani jeudi.
Pour ou contre le Hamas
Le président français a aussi endossé lundi au Caire le plan arabe pour la reconstruction de Gaza, à l’opposé de celui de Donald Trump qui ambitionne d’en prendre le contrôle et d’en expulser ses habitants pour en faire la « Riviera du Moyen-Orient ».
Pour Agnès Levallois, vice-présidente de l’Institut de recherche et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à Paris, l’initiative du président français aurait toutefois « plus de poids » si elle s’inscrivait dans un cadre européen.
A ce stade, 147 pays ont reconnu l’Etat palestinien, mais de grands pays européens – Allemagne, Italie – manquent à l’appel.
Emmanuel Macron espère faire jurisprudence, après l’Irlande, la Norvège, l’Espagne et la Slovénie en 2024, et pousser ainsi vers la « solution à deux Etats ».
Le gouvernement de Benjamin Netanyahu reste toutefois farouchement opposé à la création d’un Etat palestinien, au côté de celui d’Israël.
Une reconnaissance par la France sera une « récompense pour le terrorisme et un coup de pouce pour le Hamas », a martelé le ministre israélien des Affaires étrangères, Gideon Saar.
La France de retour
Le Hamas à l’inverse se félicite. La France, par son « poids politique », peut « pousser à la fin de l’occupation ainsi qu’à l’accomplissement des aspirations du peuple palestinien », a déclaré à l’AFP un des dirigeants du mouvement, Mahmoud Mardawi.
Pour tenter de rallier Israël, le président français insiste sur un désarmement du Hamas, la sortie de ses principaux cadres de Gaza et sur la mise en place d’une nouvelle architecture de sécurité collective dans la région.
L’Arabie saoudite va se retrouver de son côté sous la pression de Donald Trump pour reconnaître Israël, à rebours des opinions arabes, quitte à se contenter de garanties très relatives sur « un possible futur Etat palestinien », pointe Agnès Levallois.
Un des objectifs du président américain, attendu en mai à Riyad, est bien de poursuivre la dynamique des accords d’Abraham, souligne-t-on à Paris.
Emmanuel Macron espère de son côté remettre la France dans le jeu au Moyen-Orient où ses prises de positions ont souvent été qualifiées de « zigzag » entre soutien aux Israéliens et aux Palestiniens au début de la guerre à Gaza, déclenchée par les attaques du Hamas en Israël le 7 octobre 2023.
« Il renoue avec une ligne diplomatique française traditionnellement plus proche des revendications nationales du peuple palestinien et du monde arabe », relève Karim Bitar, enseignant à Sciences Po Paris.
« Cela peut créer un effet d’entraînement, redorer quelque peu l’image de la France au Moyen-Orient et dans le sud global », ajoute-t-il.
Mais si la France ne se résout finalement pas à une reconnaissance en juin, le prix pourrait être élevé en termes de crédibilité. Ça accentuera le sentiment dans le monde arabe qu’elle ne sert plus à rien », souligne Agnès Levallois.
Source: AFP